Vélot et Gouyon aux débats de l’Agro : petits mensonges entre amis
Le 29 janvier dernier, les Débats de l'AGRO organisaient au sein d'AgroParisTech une "conférence-débat" sur le thème de : "Étude Séralini, histoire d’une controverse". L'annonce a été relayée sur ce site, dans le commentaire de Vincent posté ici [1]. Christian Vélot était l'invité chargé d'assurer le spectacle. Un certain nombre de questions étaient envisagées dans le programme mais force est de constater que peu d'entre-elles furent abordées. L'exposé s'est résumé à défendre le "travail" de Séralini et sa publication retirée par le journal Food and Chemical Toxicology, et à taper sur tous ceux qui ont eu le malheur de critiquer un torchon qui n'aurait jamais dû passer le comité de lecture (voir la vidéo [2]). Je ne reviendrai pas sur cette affaire qui a déjà été maintes fois commentée sur internet et ailleurs et dont les critiques scientifiques sont facilement accessibles à tous sur la toile. Le mieux est de lire les divers avis des agences [3,4,5,6,7,8] qui ont descendu en flamme ce travail lamentable ainsi que la quinzaine de lettres envoyées à l'éditeur et qui accompagnent toujours la version barrée de rouge de l'"étude", toujours disponible sur le site du journal (contrairement à ce qu'affirmait C. Vélot à t=1:59:15 [9]). Les anti-OGM continueront à s'accrocher à cette publication comme un alcoolique à sa bouteille et seront insensibles à la raison et à la science, inutile donc d'en remettre des tartines.
Plus amusante a été la compétition au plus gros mensonge dans laquelle se sont engagés Pierre-Henri Gouyon, présent au premier rang de l'amphi, et C. Vélot. Je passe sur les noms d'oiseaux adressés à ceux et celles ayant le malheur de ne pas être anti-OGM, qui desservent plus leurs auteurs que les destinataires, pour m'en tenir à deux arguments anti-OGM avancés par le duo du CRIIGEN ; je les reprends ici car on les entend souvent dans la bouche des anti-OGM.
Gouyon (t = 01:10:42): "A quoi ça sert un OGM ? Je vais vous dire à quoi ça sert. Ça sert à mettre un gène breveté dans une plante, à laisser le vent emmener le pollen chez les voisins de telle façon que les graines des voisins appartiennent au type qui a mis le gène breveté dans la plante. Il y a maintenant de nombreux procès au Canada et aux USA où un agriculteur qui ressemait ses propres semences s’est vu attaqué par Monsanto parce que les gènes brevetés de Monsanto se trouvaient dans les semences. J’aimerais que tout le monde comprenne bien ça. Vous voyez pourquoi, du coup, l’enjeu financier est énorme. Si les entreprises en question, Monsanto en tête, mais Syngenta et d’autres derrière, réussissent leur coup, d’ici une quinzaine d’années toutes les plantes cultivées de la planète leur appartiendront. C’est clair ?"
Si seulement c'était si simple. Pour conquérir des marchés, les semenciers n'auraient donc pas à mettre au point plusieurs constructions génétiques capables de répondre aux différentes spécificités rencontrées par les agriculteurs en matière de ravageurs ou de gestions des adventices. Il leur suffirait de mettre au point un OGM pour chaque espèce cultivée, puis de demander des royalties à tout le monde une fois que le transgène aura disséminé à tout vent. Machiavélique, n'est-ce pas ? D'ailleurs le processus serait déjà engagé puisque de "nombreux procès" seraient déjà en cours aux USA et Canada. Démarche intéressante pour gagner des parts de marché : se constituer une petite clientèle d'agriculteurs disposés à mettre l'OGM en culture, et attaquer les voisins en justice. Il n'y a pas à chercher bien longtemps pour se rendre compte que ce P.H. Gouyon nous livre ici n'est que le fruit de son imagination fertile. Il y a pourtant moins d'un mois, la Cour Suprême américaine déboutait des associations d'agriculteurs bio et conventionnels qui tentaient, depuis 2011, à titre prétendument préventif, de poursuivre Monsanto pour l'empêcher de les attaquer pour présence accidentelle d'OGM dans leurs champs ou leurs récoltes [10]. Les plaignants étaient allés jusqu'à la Cour Suprême après avoir été déboutés en première instance puis en appel parce qu'ils n'avaient pas été capable d'apporter la preuve qu'ils risquaient d'être poursuivis [11]. Aucun d'eux n’avait été victime de poursuites de la part de Monsanto ! Pourtant cela faisait du monde susceptible d'être poursuivi puisque, d'après l’association à l’origine de la plainte, elle représentait ou prétendait défendre les intérêts de près de 300.000 personnes et 4500 exploitations agricoles. Malgré cela, d'après P.H. Gouyon, il y aurait déjà "de nombreux procès au Canada et aux USA" ! Pas un seul cas de procès faisant référence à une présence accidentelle d'OGM n'existe. Depuis, P.H Gouyon a précisé sa pensée dans un échange suite à un billet publié récemment sur le blog "Tout se passe comme si" [12]. Selon lui, "[l]a spécificité liée aux ogm est que Monsanto a dit qu’ils poursuivraient les paysans si leurs graines contiennent plus de 1% de semences contaminées ps (sic) leurs constructions brevetées" [13]. Nul doute qu'un procès fondé sur une présence fortuite d'un OGM à un niveau de l'ordre de 1% aurait laissé une traînée d'indignation sur la toile. Or il n'y en a pas. Par ailleurs Monsanto n'a jamais déclaré ou prétendu vouloir poursuivre des agriculteurs pour présence fortuite d'OGM dans leurs champs ou leurs récoltes. Et c'est P.H. Gouyon qui donne des leçons sur les "manipulateurs" et les "manipulés" ? Autre chose qui ne semble pas "clair" pour tout le monde, c'est que les brevets ont une durée de vie limitée et que "d’ici une quinzaine d’années" la plupart des OGM actuels verront leurs constructions génétiques tomber dans le domaine public. Pour la première génération de plantes RR, c'est dès l’année prochaine [14]. Bref, plutôt que de répéter ici le contenu des échanges qui ont eu lieu sur le blog "Tout se passe comme si" le mieux est de lire les commentaires publiés à la suite de l'article.
De son côté, C. Vélot n'est pas non plus en reste en matière de méconnaissance du sujet qu'il prétendait traiter. A un intervenant (t=1:41:44) qui se demandait pourquoi il a fallu "ruser pour obtenir le maïs utilisé" Vélot répond :
Vélot (t=1:52:00) "Attends Claude tu n'ignores pas que quand un agriculteur achète un maïs chez Monsanto ou n'importe quelle semence ogm il signe un contrat dans lequel il s'engage à ne pas le diffuser et à ne pas le ressemer et dans lequel il s'engage notamment, c'est la clause du brevet, et dans laquelle il s'engage notamment à utiliser le Roundup de Monsanto et pas le glyphosate générique."
On peut se demander en quoi cela répond à la question posée, mais passons. Je ne sais pas où C. Vélot est allé pêcher de telles informations. Certainement pas en France, ni même en Europe, puisque aucun OGM tolérant un herbicide n'est autorisé à la culture. L'agriculteur qui achète des semences – en fait, conclut un accord de licence – s'engage à ne pas les revendre à un autre agriculteur qui ne serait pas lié par cet accord. Cependant il est en droit de vendre sa récolte à celui qui veut bien l'acheter, sinon comment vivrait-il ? Une grande partie de la production américaine est exportée dans des pays susceptibles de refuser l'importation d'OGM. L'agriculteur est par conséquent aussi tenu de participer à la bonne gestion des marchés. L'événement NK603 est autorisé à l'importation en Europe. L'intervenant présent dans la salle n'est pas le seul à s'être interrogé sur la soit-disant ruse qu'il aurait fallut utiliser pour obtenir du maïs NK603. Déjà lors de l'opération de comm' qui a accompagné la sortie de l'"étude", les scientifiques canadiens s'interrogeaient. Ainsi, Dominique Michaud, biologiste à l'Université Laval, déclaraient, je cite : « C'est intrigant [...] moi et mes collègues, on trouve ça amusant que ça vienne d'ici. C'est mystérieux, parce qu'il n'est pas très difficile de se procurer ces semences. Dans les études, on ne prend pas la peine de dire leur provenance. Mon opinion personnelle, c'est qu'il s'agit d'une stratégie marketing pour mousser le livre et le film, qui sortent sous peu et qui parleront des travaux de Séralini » [15].
De plus, selon C. Vélot l'agriculteur aurait obligation d'utiliser "le Roundup de Monsanto". Il faudrait qu'il se mette à jour. Ceci était valable jusqu'en 2000, année où le brevet sur le glyphosate est tombé dans le domaine public. Depuis 2000 l'agriculteur peut tout à fait utiliser un générique moins cher, c'est indiqué dans le contrat que l'agriculteur signe avec son fournisseur de semences [16]. Je cite:
- GROWER AGREES:
To use on Roundup Ready® or Genuity ® Roundup Ready® crops only a labeled Roundup® agricultural herbicide or other authorized non-selective herbicide which could not be used in the absence of the Roundup Ready® gene (see TUG for details on authorized non selective product). (c'est moi qui graisse) MONSANTO DOES NOT MAKE ANY REPRESENTATIONS, WARRANTIES OR RECOMMENDATIONS CONCERNING THE USE OF PRODUCTS MANUFACTURED OR MARKETED BY OTHER COMPANIES WHICH ARE LABELED FOR USE ON CROPS CONTAINING ROUNDUP READY® TECHNOLOGIES. MONSANTO SPECIFICALLY DISCLAIMS ALL RESPONSIBILITY FOR THE USE OF THESE PRODUCTS IN CROPS CONTAINING ROUNDUP READY TECHNOLOGIES. ALL QUESTIONS AND COMPLAINTS ARISING FROM THE USE OF PRODUCTS MANUFACTURED OR MARKETED BY OTHER COMPANIES SHOULD BE DIRECTED TO THOSE COMPANIES. (les majuscules ne sont pas de moi)
Selon le contrat l'agriculteur accepte donc d'utiliser du Roundup ou un autre herbicide non sélectif qui ne pourrait pas être utilisé en l'absence du gène Roundup Ready. Dans le guide d'utilisation de la technologie (TUG) Monsanto est encore plus explicite [17], je cite:
Monsanto does not restrict your ability to use glyphosate-herbicides so long as the product is specifically registered and labeled for in-crop use on the applicable crop. Read the product label or contact the product manufacturer if you have questions about EPA or state approvals for in-crop use.
C'est écrit noir sur blanc. Monsanto n'empêche pas l'agriculteur d'utiliser d'autres herbicides à base de glyphosate sur ses champs Roundup Ready. Par contre Monsanto ne peut être tenu pour responsable de problèmes liés à l'usage de ces produits génériques sur ses produits Roundup Ready, et les questions éventuelles doivent être adressées au fabricant du produit générique utilisé.
On s'amusera donc de constater encore une fois que C. Vélot balance à son public des infos qu'il n'a pas pris la peine de recouper et de vérifier. De son côté, P.H. Gouyon qualifie de "manipulés", de "manipulateurs", d'inquisiteurs, de sectaires, d'"intégristes du progrès" ou tout simplement de "sales cons" ceux qui auraient le malheur de s'opposer à la propagande du CRIIGEN ou de défendre les biotechs. Je me demande tout de même dans quelle catégorie il se classe lui-même, ainsi que son confrère C. Vélot lorsqu'ils balancent des mensonges à un public qu'ils prétendent informer.
Alexis Thomann
alexis.thomann(a)wanadoo.fr
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Sources:
[3] EFSA http://www.efsa.europa.eu/fr/efsajournal/pub/2986.htm
[6] FSANZ (Australie Nouvelle-Zélande) http://www.foodstandards.govt.nz/consumer/gmfood/seralini/pages/default.aspx
[7] Le Conseil de Biosécurité belge http://www.bio-council.be/docs/BAC_2012_0898_CONSOLIDE.pdf
[8] DTU (Danish Technical University)
http://www.dtu.dk/upload/institutter/food/publikationer/2012/vurdering_gmostudieseralini_okt12.pdf
[9] http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0278691512005637
[10] http://www.supremecourt.gov/Search.aspx?FileName=/docketfiles/13-303.htm
[11] http://www.osgata.org/osgata-et-al-v-monsanto/
[14] http://www.monsanto.com/newsviews/pages/roundup-ready-patent-expiration.aspx
[16] http://thefarmerslife.files.wordpress.com/2012/02/scan_doc0004.pdf
[17] http://www.monsanto.com/SiteCollectionDocuments/Technology-Use-Guide.pdf (page 7)